
L’emblématique lieu culturel de Moutier a quitté l’usine Junker qu’il occupait depuis dix ans. Son propriétaire Tornos S.A. veut en faire une cafétéria.
C’est une page qui se tourne. Après dix années presque jour pour jour d’activités qui en ont fait un lieu culturel unique à Moutier (BE), le Pantographe a finalement, et contre toute attente, quitté les locaux de l’ancienne usine Junker. Le propriétaire des lieux, la société Tornos, a décidé de récupérer les lieux pour en faire une cafétéria pour ses employés.
Rien ne laissait présager le départ des membres du Pantographe malgré une décision de justice leur intimant de quitter les lieux d’ici à mercredi midi. Si le tribunal a rendu son verdict, contre lequel le collectif n’a pas recouru «car la propriété privée est protégée de manière absolue en Suisse», un conflit de nature pécuniaire demeure entre la société spécialisée dans le décolletage et l’espace culturel.
Lire notre article du 27 octobre 2015 : Le pantographe, une fabrique socioculturelle en péril
Le Pantographe a en effet investi 228 000 francs, que la fondation Pays des merveilles lui a prêtés, pour effectuer des travaux de rénovation dans l’usine Junker. Le Pantographe avait utilisé cette somme persuadé qu’il rachèterait l’immeuble, après avoir obtenu, selon ses membres, une promesse de vente de l’entreprise prévôtoise. Sommé par Tornos de partir, le collectif se retrouve au final avec une créance élevée auprès d’une institution qui lui a accordé sa confiance et refuse de quitter les lieux tant que Tornos ne rembourse pas au moins 200 000 francs à la fondation.
Un immense vide
Alors que mercredi à midi, ils étaient encore bien décidés à rester, les militants culturels ont finalement consenti, en soirée, à partir de l’usine Junker qu’ils considèrent comme «une véritable œuvre d’art». Pour Ondine Yaffi, une des permanentes du lieu, la pilule est difficile à avaler: «C’est étrange de se réveiller et de se dire qu’il n’y a plus le Pantographe à l’usine. Je me sens un peu orpheline de ce lieu», concède-t-elle, du dépit dans la voix.
Mais, selon elle, il s’agissait de la meilleure stratégie: «Hier soir en discutant avec nos nombreux soutiens, nous nous sommes rendu compte que rester envers et contre tout serait contre-productif. Tornos souhaitait nous pousser à la faute et nous faire passer pour des jusqu’au-boutistes. Je pense que notre départ les a surpris et qu’il sera au final bénéfique pour le Pantographe», explique-t-elle.
Un lieu indispensable
L’avenir donnera raison ou tort à Mme Yaffi, mais le départ du Pantographe laissera à l’évidence un immense vide derrière lui. Véritable fabrique socioculturelle, le lieu, unique en son genre, avait réussi à se rendre indispensable à la vie culturelle et sociale de Moutier. Avec sa bibliothèque, son bazar à fripes, ses concerts, ses soupers populaires ou encore son accueil spontané d’une dizaine de migrants, le Pantographe s’est fait reconnaître comme institution d’utilité publique.
Une grande perte pour la ville de Moutier, car si les membres de l’espace autogéré souhaitent poursuivre leurs activités, elles se feront ailleurs en «raison de liens de confiance rompus avec la municipalité». Peut-être dans le Jura ou ailleurs dans le Jura bernois, le collectif ayant reçu «l’appui des autorités cantonales de Berne et du Jura», selon Ondine Yaffi.
Une dette conservée «par principe»
Si l’avenir, toujours incertain, semble se décanter pour les parties, demeure la question de la dette du Pantographe envers la fondation Pays des merveilles. Mercredi, par communiqués interposés, la Ville de Moutier et Tornos ont annoncé que l’entreprise a trouvé une solution financière avec l’institution biennoise. Une information démentie par Ondine Yaffi, qui rappelait que les membres exigent le versement de 200 000 francs par la société.
Jeudi, en milieu d’après midi, les choses se sont précipitées. A la suite d’une rencontre avec les permanents, Res Balzli, président de la fondation, a confirmé avoir accepté l’offre de Tornos qui proposait 70 000 francs, soit le tiers de la somme prêtée. «Ce prêt était à haut risque dès le départ, mais nous avions la promesse de vente et la potentielle garantie d’hypothéquer l’immeuble. Aujourd’hui, cet argent est investi dans l’usine Junker, nous tentons de récupérer ce que nous pouvons, explique le président en ajoutant que la perte financière ne met pas en danger les activités de sa fondation.»
Affaire terminée ?
L’affaire devait se terminer là, puisque la fondation, soutien inconditionnel du Pantographe, avait prévu «de libérer de sa dette l’espace autogéré». «Par principe», le lieu a décidé de ne pas effacer son ardoise, selon Res Balzli. Une décision noble mais qui pourrait mettre en difficulté le futur du Pantographe? L’avenir le dira, en attendant, comme le disent ses membres: «A la fin, tout s’arrange. Si ça ne s’arrange pas, c’est que c’est pas fini.»
Le Pantographe, une fabrique socioculturelle en péril
Ils vivent sous la menace d’une expulsion imminente. Qui doit leur être signifiée en principe d’ici à la fin du mois. «Ils», ce sont les animateurs bénévoles du Pantographe, une association culturelle établie depuis 2006 dans l’ancienne usine Junker de Moutier, propriété de l’entreprise Tornos SA. Cet édifice emblématique de l’industrie prévôtoise, le fabricant …